vendredi 13 juin 2014

Il y a un an

C'était il y a un an et quelques heures. Là, ma mémoire ne me joue pas de tour,  je me rappelle encore très bien de cette journée. 

Le matin, alors que j'aurais préféré rester plongée dans un sommeil qui m'aurait libérée encore quelques heures de mon stress continu, de mes pensées obsédées depuis de nombreux jours déjà par ce moment qui approchait, il m'a fallu sortir du lit assez tôt, en ronchonnant, stressée mais heureuse : bientôt, j'allais enfin pouvoir arrêter de me chantonner intérieurement "Sourire d'enfer ! Ma vie devient compliquée... Histoire de coeur ! Vaut mieux ne pas en parler... Adolescente ! Tout finit par s'arranger..." à chaque fois que j'apercevrais mes dents retenues depuis trois ans et demie déjà prisonnières de ces instruments du diable que sont les bagues. Bon, peut-être pas du diable... Après tout, ces choses que j'ai maudites pendant tous ces mois, tout comme les ortho-dontistes qui me torturaient toutes les six semaines tandis que je les maudissais intérieurement, et qui me répétaient inlassablement "Il faut mieux te brosser les dents", auxquels je m'obstinais à répondre que la taille mammouth de ma gencive n'était pas due à un mauvais brossage de dents mais à un simple problème de gencive lié à ces saletés de bagues responsables de leur grossissement, ces maudites choses, donc, sont tout de même celles qui m'ont en partie sauvée. Des dites "dents du bonheur" plus justement rebaptisées par mes soins "dents du malheur" afin d'être plus fidèle aux faits ("bahhhh, tu as des dents écartées" m'a-t-on souvent dit, tantôt sur un ton méprisant, tantôt sur un ton moqueur), je me retrouve, trois ans et demie plus tard, avec des dents collées. Amputées de plusieurs de leurs fidèles camarades (laissant un vide dans leur coeur qui bien heureusement fut comblé par trois nouveaux amis artificiels qui m'a valu d'autres malheurs Ô combien terrifiants), mes dents sont petites, ne font pas toutes les même longueur, ont des formes plutôt hasardeuses quoiqu'elles parviennent à donner l'apparence, parfois, d'une certaine normalité, mais elles sont collées, collées, collées, mes deux dents de devant sont collées, et, après trois ans et demie, je peux enfin déclarer : dents du bonheur, avec Satan, nous avons réussi à avoir votre peau. Une bonne chose de faite. 

Le matin du 13 juin, je suis donc allée me faire charcuter dans les règles, et cette petite parenthèse refermée, je suis rentrée chez moi. J'ai regardé l'heure. Non, il n'était pas 13h. Quelques minutes plus tard, j'ai regardé l'heure de nouveau. Non, toujours pas 13h. Je ne sais plus si j'ai bien révisé mon bac, ce jour-là. Me connaissant, j'ai dû, fidèle à moi-même, tenter vainement d'ouvrir un cahier, avant de le refermer en soupirant et d'errer dans la maison désespérément et avec une angoisse terrible qui grandissait à mesure que le moment de joie hystérique ou de tristesse précédant l'internement pour dépression grave n'arrive. A 12h, je suis allée prendre ma douche. J'ai ensuite commencé à préparer mon repas en priant pour que le temps passe plus vite et que la chance me sourie bientôt. A 12h30, j'ai reçu un sms auquel je ne m'attendais pas puisqu'il était trop tôt : une amie m'annonçait qu'elle avait eu son premier vœu de prépa. Mon cœur a commencé à battre très fort, tout à coup. J'ai envoyé un sms à l'amie qui avait mis le même premier vœu que moi pour lui dire que les résultats, les résultats tant attendus, étaient déjà en ligne. Puis j'ai laissé mon portable à la cuisine. Je ne voulais pas être au courant des admissions d'autres personnes avant de connaître la mienne, je voulais me retirer dans ma bulle pour enfin savoir si ces deux ans et demie de rêve allaient se transformer en réalité. 

J'allume l'ordinateur, je m'installe, stressée, stressée, stressée. Je vais sur APB, je rentre mon identifiant et mon mot de passe, que je connais par cœur à force de les avoir tapés. Et là, enfin, je clique sur le bouton qui va me faire accéder à la page qui changera ma vie. Je me suis posé, en une fraction de seconde, toutes les questions qu'on peut se poser dans ses moments là, comme si l'on voulait être absolument prêt à recevoir les résultat de la meilleure manière possible. Où devrai-je poser les yeux exactement sur l'écran pour ne pas être prise au dépourvu et tomber sur mon résultat par hasard ? Mais c'est trop tard, j'ai cliqué... Et là, la merveilleuse page, merveilleuse, c'est le mot, s'est ouverte. Vœu 1 proposé. J'ai vaguement aperçu que le second m'avait refusée, sans surprise. J'ai poussé un hurlement strident, j'ai quitté ma chaise, je me suis mise à hurler de joie en courant, ou plutôt en sautant, jusqu'à la cuisine. J'ai pris mon portable, j'ai annoncé à l'amie dont je vous parlais que j'étais acceptée, en essayant de ne pas montrer trop mon enthousiasme tant qu'elle ne m'aurait pas dit si elle aussi avait son vœu 1. Peu de temps après, elle me téléphone pour me dire qu'elle est aussi acceptée. Après trois ans passés dans la même classe, nous allons encore l'être deux années de plus. C'est merveilleux. Je me mets à envoyer des sms, à passer des coups de fil, tout en continuant à pousser des cris de joie, j'ai accepté la formation proposée sans hésitation. 

Autant vous dire que cette après-midi là, je n'ai quasiment pas travaillé. J'étais surexcitée. J'ai ensuite découvert la liste de devoirs qui n'en finissait plus, je n'ai pas paniqué, j'étais même contente, j'accueillais avec une joie hystérique tout ce qui pouvait m'assurer que j'allais bel et bien être en prépa en septembre. Dans mon lycée. Cette journée, je ne l'oublierai pas de sitôt. Cette année a changé ma vie. Je suis restée la même, en partie. J'ai changé, en partie. J'ai beaucoup râlé, j'ai même pleuré lors des moments les plus difficiles, ceux où j'étais convaincue que je n'irais pas en deuxième année parce que je ne supportais plus la prépa. Mais il y a eu tant de moments de joie, tant de moments si intenses, tant de sensations fortes !

Je compte revenir, la semaine prochaine, faire un bilan de mon hypokhâgne, pas un bilan tout à fait classique, mais ce que j'appellerai peut-être un "bilan émotionnel".

Le 13 juin 2013, ma vie a changé. Aujourd'hui, 13 juin 2014, ça fait un an. Tout n'est pas allé pour le mieux cette année, et pourtant, aujourd'hui, je reste émerveillée comme le premier jour. La boucle est bouclée, je retrouve cet état premier qui m'a envahie l'année dernière, et je suis prête à affronter une seconde année. Aujourd'hui, 13 juin 2014, il fallait que j'écrive cet article. L'hypokhâgne, c'est la plus belle aventure de toute ma vie. Et certainement pas la plus difficile. Il y a eu beaucoup de stress, de tristesse ou de ras-le-bol en hypokhâgne, mais c'était aussi le cas en terminale. Sauf qu'en terminale, je pensais tout le temps à mon dossier, à ma peur de ne pas être acceptée, à ma culpabilité de ne pas avoir assez bossé, à ma colère contre les profs qui nous disaient d'arrêter de stresser alors qu'on avait toutes les raisons du monde pour l'être, à à à... Je n'ai pas aimé la terminale. Scolairement parlant, c'est l'année que j'ai trouvé la plus éprouvante. 

Je ne dirai donc pas que l'hypokhâgne a été à la fois l'année la plus belle et la plus difficile de ma vie. Je me contenterai de dire qu'elle a été la plus belle.

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